Planter des chardons ?

Une rumeur prétend que ne pas arracher des chardons qui poussent dans son terrain est interdit en France. En vrai c’est BEAUCOUP plus compliqué.

Tout d’abord, la plupart des espèces de chardons sont parfaitement légales à planter.
Il existe même des chardons (carduus, cirsium, eryngium, berardia, …) qui sont des espèces en danger et protégées et sont interdites de cueillette/arrachage/destruction/etc :
– ici en bretagne par l’article 1 de l’arrêté du 23 juillet 1987 le chardon des dunes (eryngium maritimum)
– en rhône-alpes par l’article 1 de l’arrêté du 4 décembre 1990 le cirsium helenioides et le cirsium monspessulanum
– en limousin par l’article 1 de l’arrêté du 1er septembre 1989 et en basse normandie par l’article 1 de l’arrêté du 27 avril 1995 le cirsium tuberosum
– en bourgogne par l’article 1 de l’arrêté du 27 mars 1992 et en auvergne par l’article 1 de l’arrêté du 30 mars 1990 le carduncellus mitissimus
– en bourgogne par l’article 1 de l’arrêté du 27 mars 1992 le carduus defloratus
– en auvergne par l’article 1 de l’arrêté du 30 mars 1990 le carduus personata
– en provence-alpes-côte d’azur par l’article 1 de l’arrêté du 9 mai 1994 le carduus acicularis, le carduus aurosicus, le notobasis syriaca et le ptilostemon casabonae
– sur tout le territoire par l’arrêté du 23 mai 2013 modifiant l’arrêté du 20 janvier 1982 les cirsium montanum, populifolius, pouzolzii, psilocephalus, la berardia subacaulis, les eryngium alpinum, barrelieri, spina-alba, viviparum

De plus si j’ai bien compris le décret no 94-777 du 31 août 1994 portant publication des amendements à l’annexe I de la convention signée le 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, adoptés le 3 décembre 1993, les espèces carduus myriacanthus, eryngium alpinum et eryngium viviparum sont considérées comme strictement protégée par la convention de Berne.

En revanche si vous habitez dans un pays un peu plus au sud genre Maroc, méfiez-vous du chardon à glu, il s’agit d’une espèce toxique. Je ne connais en revanche pas les législations hors UE.

La seule espèce où les droits concernant leur culture en France c’est ambigu c’est le chardon des champs, également appelé cirsium arvense.

Il s’agit donc d’une cirse, pas d’un chardon (carduus) proprement dit, originaire de toute l’eurasie, mais importée en Amérique du Nord où elle est une espèce invasive. (source wikipédia fr)
En France elle est considérée comme espèce invasive depuis le XIXème siècle.

Et là commence la complexité.

Le 31 juillet 2000, sous la présidence de Jacques Chirac et le gouvernement Jospin, le ministre de l’agriculture et de la pêche PS (à l’époque vice-président du conseil général des hautes pyrénées et ministre de l’agriculture et de la pêche) Jean Glavany passe un arrêté ministériel établissant la liste des organismes nuisibles aux végétaux, produits végétaux et autres objets soumis à des mesures de lutte obligatioire
(pour remplacer/rénover l’arrêté ministériel du 2 septembre 1993 relatif aux exigences sanitaires des végétaux, produits végétaux et autres objets qui avait été signé sous le gouvernement Balladur du président Mitterrand par le ministre de l’économie et président du conseil général du Maine et Loire UDF Edmond Alphandéry, le sénateur de l’aveyron RI et ministre de l’agriculture et de la pêche Jean Puech et le député des hauts-de-seine RPR/ministre du budget/porte parole du gouvernement Nicolas Sarkozy).

Dans cet arrêté ministériel du 31 juillet 2000,

Selon l’article 5,
« En l’absence d’arrêté ministériel précisant ces traitements ou mesures ainsi que les conditions dans lesquelles la lutte est organisée, ceux-ci sont fixés par arrêté préfectoral, après avis du directeur régional de l’agriculture et de la forêt (service régional de la protection des végétaux) ou du directeur de l’agriculture et de la forêt (service de la protection des végétaux) pour les départements d’outre-mer.

[Conformément à l’article 352 du code rural, l’arrêté préfectoral est soumis dans la quinzaine à l’approbation du ministre chargé de l’agriculture (direction générale de l’alimentation, sous-direction de la qualité et de la protection des végétaux).] » (la partie entre crochets a été abrogée le 26 septembre 2016)

Traduction : le ministre rédige une liste des espèces nuisibles, s’il a la flemme c’est les préfets de chaque département qui font leurs listes à leur sauce.

Or dans ce même arrêté ministériel, il y a une annexe B dont le chapitre 1 a été abrogé le 16 avril 2020, pour conformité aux lois européennes. Or ce fameux chapitre 1 indiquait pendant un mois puis de nouveau depuis le 6 août 2002 et jusqu’au 16 avril 2020 une liste d’espèces nuisibles en France métropolitaine contenant le chardon des champs.

Pour conformité aux lois européennes, ça veut dire basiquement que maintenant en France ce sont les listes d’espèces européennes qui s’appliquent, celles-ci pouvant être modifiées par arrêté ministériel (sauf qu’en France métropolitaine il n’y en a plus vu que le chapitre 1 de l’annexe B a été abrogé) ou préfectoral.

Je vous passe les détails sur les lois européennes qui sont ultra compliquées (en mode ils écrivent une loi pour dire cf alinéa machin de telle autre loi qui est conçue également comme un lien vers une autre et ce sur 5 niveaux) pour dire que basiquement en Europe il n’y a pas à ma connaissance (après recherche poussée) de loi interdisant les chardons des champs.

Tout va bien pour les chardons en France alors ?

Eh non. Tout d’abord les espèces protégées en France peuvent être arrachées dans un contexte agricole. Bon ça tombe sous le sens qu’on a le droit de désherber son champ sans risquer d’être puni, mais du coup dans les régions de grandes monocultures sans jachère ni terrains abandonnés ni pâturages extensifs les pauvres chardons n’ont plus d’endroits où poser leurs graines afin de se multiplier pour sauvegarder leurs graines.

Ensuite si vous avez suivi vous aurez compris qu’un arrêté préfectoral peut interdire les chardons des champs.
En Bretagne c’est le cas du Morbihan avec l’arrêté du 17 juin 2011 dont je n’ai pas trouvé d’arrêté l’abrogeant.
En revanche :
Les côtes d’armor ont abrogé le 21 décembre 2020 leur arrêté du 8 avril 2005.
L’ille et vilaine a abrogé le 14 août 2020 son arrêté du 14 août 2013.
Le finistère a abrogé le 1er octobre 2020 son arrêté du 15 juillet 2010.
Je ne trouve aucun résultat pour la loire atlantique, ni arrêté ni abrogation.

Tout ça pour la partie légale. Maintenant que vous savez que beaucoup d’entre nous ont le droit de disséminer allègrement des graines de chardon, quel en est l’intérêt ?

Tout d’abord protéger des espèces sauvages dont certaines sont en danger, comme je l’ai dit au début. Mais cela va plus loin.
Le chardonneret élégant est une très jolie espèce d’oiseaux menacée. Comme son nom l’indique, il se nourrit principalement de graines de… chardon. Le tarin des aulnes n’est pas une espèce en danger mais est un joli oiseau qui s’en nourrit également et hiverne dans l’ouest de l’europe.

La vanesse du chardon/belle dame est également un papillon assez commun et pas en danger mais très joli et connu pour se nourrir de chardons, tout comme d’autres jolis papillons tels le citron, l’écaille martre, le cardinal ou le tabac d’espagne, voire des papillons plus rares/en danger comme l’écaille chinée, l’appollon, l’euxanthie du chardon (pas d’info sur sa rareté).

Pour conclure : plantez des chardons c’est légal ! (et je parle même pas des bénéfices sur la santé du chardon marie, notamment sur le foie)