Beaucoup ridiculisent la politique économique soviétique en caricaturant le concept « on paye des gens pour creuser des trous et d’autres pour les reboucher ».
Mais en fait cette politique économique est bien plus intéressante qu’elle n’y paraît de prime abord.
Déjà il est important de comprendre l’idéologie qu’implique le fait de se moquer de cette pratique :
- premièrement que les personnes pourraient nécessairement être affectées à des tâches plus utiles (et qu’il en existe donc forcément)
- deuxièmement que fournir un travail non productif a des gens est totalement inutile voire nuisible
- troisièmement qu’il vaut mieux laisser des gens sans travail que de gaspiller des ressources
- quatrièmement que l’on dispose de toutes les informations nécessaires pour juger de la situation.
Peut-on toujours affecter quelqu’un à des tâches plus utiles ?
Lorsqu’on dispose de ressources (salaire, indemnités, tickets de rationnement, peu importe) et de main d’œuvre prête à travailler pour être rémunérée avec ces ressources, se trouvent plusieurs écueils.
Si on est un état qui souhaite le bien de sa population (admettons) il est nécessaire pour permettre d’accomplir ce plein emploi d’avoir trois choses :
- de grandes ambitions (de la part de l’état, ou de la personne elle-même dans le cadre du travail libre), en clair le désir et la capacité stratégico-planificatrice de réaliser de grandes choses, par exemple une politique de grands travaux keynesienne
- une formation et une capacité à former les travailleurs en question sur des savoir-faire nécessaires à la réalisation de ces ambitions
- une volonté des travailleurs en question de travailler à ces tâches précises dans ces conditions précises
Si une seule de ces conditions n’est pas présente, alors non, on ne peut de fait pas affecter la personne à une tâche meilleure que celle à laquelle elle travaille déjà.
Fournir un travail non productif est-il inutile ?
Déjà c’est un peu facile de critiquer des régimes communistes de plein emploi quand la majorité du travail en régime capitaliste est gaspillée (ah bah en fait quelqu’un d’autre l’a fait à ta place/le client a annulé sa commande/tu le mettras dans ton rapport de stage mais c’est pas assez bien pour le mettre en prod on le fera refaire par un salarié), inutile (remplissage de paperasse) ou même nuisible (arnaques, pillage des ressources, etc) ET qu’on n’a pas le plein emploi. Mais admettons qu’on ne compare pas.
Fournir un travail à tout le monde permet de gommer des inégalités sociales, de permettre aux gens de se sentir fiers d’appartenir à la communauté et de lui rendre service, donne de la cohésion sociale, favorise l’entraide, diminue la violence dans la société… Alors oui c’est peut-être pas parfait d’être reboucheur de trous professionnel, mais c’est plus valorisant que d’être chômeur, c’est bon pour la santé physique et ça fait taire les critiques…
Donc il y a une valeur en soi à créer le plein emploi, même artificiellement.
Et même si c’était inutile, on s’en ficherait, on ne s’en moquerait pas. Se moque-t-on du lobe de l’oreille ? Non. Pourtant c’est inutile. Lorsqu’on rit de cette histoire de rebouchage de trous, cela dénote une idéologie très insidieuse : on considère qu’il vaut mieux ne rien foutre de ses journées / que les pauvres crèvent plutôt qu’un plein emploi obtenu artificiellement.
Gaspiller des ressources vs gaspiller de la capacité de travail ?
Lorsqu’on paye quelqu’un pour creuser un trou et qu’on en paye un autre pour le reboucher, on peut penser que l’usure de la pelle, le déplacement de terre ou encore la fatigue physique sont gaspillés, et que ce gaspillage est plus grave que ne rien faire.
Sauf que. Si on a les ressources nécessaires dans une entreprise pour embaucher un salarié supplémentaire et qu’au lieu de ça on vire du personnel pour restructuration, ça choque tout le monde. Donc pour une entreprise on comprend l’intérêt mais pas pour un état communiste ? Deux poids deux mesures…
En effet si les ressources sont là, il n’y a pas gaspillage à les utiliser. Le gaspillage c’est quand les ressources manquent et qu’on les utilisent futilement sans rationnement.
Et encore une fois, l’utilité sociale des reboucheurs de trous ne manquait pas : participer à permettre le plein emploi dans un régime communiste et à son bon fonctionnement, ça claque plus que remplisseurs de poches d’un actionnaire…
L’info manquante : qu’y a-t-il entre le creuseur et le reboucheur de trous ?
Je pense que ce qui choquait à l’époque n’était pas de rémunérer quelqu’un à creuser ou à reboucher des trous, mais de prendre quelqu’un de différent pour les deux (ce qui était moqué c’est le principe du travail collectif).
Pourquoi reboucher les trous tout juste creusés ne gênerait-il personne ? Parce qu’entre les deux il y avait un gars pour mettre un grain de blé dans le trou !