Je voulais faire une petite liste de tout le travail invisible que je fais en ce moment pour montrer l’ampleur du travail invisible qu’on peut être amené à faire quand on est handicapé, surtout si en plus on est trans.
Le problème c’est que j’ai un peu de difficulté à sélectionner ce qui est du taff invisible, ce qui est un loisir/besoin vital mais qui me coûte juste de l’énergie, etc.
J’ai aussi des difficultés à raconter tout ça sans détailler trop la vie d’autres personnes, puisque ma vie est intimement liée à celles de mes potes et de ma famille, parce que je fais beaucoup de care dans le travail invisible que je fais.
Care
J’aide des gens à se réveiller le matin, j’en empêche d’autres de se suicider, je parles avec certains pour leur remonter le moral ou les faire aller mieux, je donne des conseils à d’autres (médicaux, administratifs, légaux, informatiques, magiques, … bref le genre de conseils qu’on peut trouver sur mon blog), etc.
J’applique à fond la solidarité antivalidiste mais j’aide aussi les valides parfois.
Douleurs
Je dois cacher mes douleurs pour ne pas incommoder les valides et les supporter. J’ai en permanence mal à pleins d’endroits. Entre
- ma peau du visage qui me démange à cause du pollen,
- ma transpiration qui m’irrite parfois,
- ma fièvre quasi-permanente,
- mes migraines,
- mes douleurs articulaires (je crois que j’ai de l’arthrite… génial),
- mes douleurs au bas du dos (cyphose et une jambe plus courte que l’autre),
- mes douleurs dentaires,
- mes articulations qui craquent de partout (y compris la mâchoire vu que j’ai une parodontite),
- mes nausées fréquentes qui me permettent de moins sentir les douleurs,
- mon hypertension oculaire,
- mes douleurs aux yeux en présence de certaines lumières,
- mes douleurs au ventre à cause du stress et de la faim,
- mes douleurs aux plis du ventre du fait que mon dos s’affaisse, ce qui coince des plis de graisse + peau sous mes côtes,
- mes brûlures au niveau du palais et parfois à la langue dues au fait que j’en ai un peu rien à foutre de me brûler quand je bois une tisane,
- mes douleurs sous le pied dues à mes chaussures inadaptées et à mon excroissance cornée
- mes douleurs au passage de la nourriture (à l’endroit où on fait un massage cardiaque) quand je mange trop vite
- les picotements au niveau de la glotte quand un petit morceau de nourriture s’y colle et y reste collé plusieurs jours
- mes brûlures à la gencive quand j’ai la bêtise d’y mettre de l’huile essentielle de clou de girofle pure
- mes raideurs au niveau de la cicatrice de mon bras gauche où la peau est moins élastique et donc parfois un peu douloureuse et où quelques fois le bord de mes plaques me pique un peu, et qui est tout à fait raide le matin au réveil
- mon nerf de l’épaule gauche qui s’est jamais complètement remis de mon opération et me refait mal de temps en temps
- mes douleurs et tensions à la nuque et aux épaules
- le froid permanent (je ne mange ni ne dors assez et génétiquement je suis adapté à un climat plutôt genre nord du maghreb, inde du sud, antilles, … et encore je suis déjà en meilleur santé maintenant que je vis en Bretagne au bord de mer parce que génétiquement je suis adapté à un climat de bord de mer/océan par absolument tous mes ancêtres depuis des générations)
- etc
Le plus douloureux étant sans conteste le stress, et ensuite les douleurs articulaires (chevilles, poignets, bas du dos, nuque, épaules, doigts des mains, pieds entiers, genoux) et dentaires, les migraines et le froid venant ensuite même si une partie du reste n’est pas négligeable mais seulement se manifeste avec une fréquence assez modérée.
Et à chaque fois que je vais en cours, que je me fais à manger ou que je me fais de la paperasse je dois en même temps supporter toutes ces douleurs (mais j’ai pas envie de prendre du doliprane en permanence, j’en prends que quand je dois contrôler mon humeur, parce qu’évidemment toutes ces douleurs ça me fait faire des crises de colère régulières).
Santé
Tout ce qui est soin médicaux et plus largement santé me prend énormément d’efforts (au point que je fantasme assez fréquemment d’être enfermé à vie dans une sorte de version idéalisée de l’hôpital, de la prison, dans un centre de rééducation, de thalasso, un lieu pour les sportifs de haut niveau, chez quelqu’un qui m’aurait enlevé, etc bref un lieu où ma santé serait entièrement prise en charge sans que j’ai rien à faire pour).
Entre la foule de médecins que j’ai à voir, le temps que je dois consacrer à essayer d’obtenir de la nourriture adaptée à mon régime alimentaire et équilibrée, le temps que je dois passer sur internet à rechercher comment me soigner et qu’est-ce que j’ai
(et ce n’est pas toujours de l’hypocondrie, sans ça aujourd’hui j’aurais une septicémie, je ferais des malaises tous les jours à cause des carences, je ne pourrais plus me lever de mon lit et je serais peut-être mort d’une crise d’asthme il y a plusieurs années),
le temps que je consacre à passer à la pharmacie ou au magasin bio m’acheter des médicaments, le temps que je passe maintenant à faire du sport
(cette semaine j’ai été trois fois à la salle de muscu et une fois en cours de sabre laser, j’ai dansé une fois chez moi et j’ai fait deux fois des pompes et des abdos dans mon lit, sans parler de la marche à pied),
etc, j’ai vraiment pas le temps de faire grand chose d’autre… Ou en fait si, parce que je suis en période non-dépressive.
Sidh
J’ai une vie dans le sidh assez mouvementée également, et je suis obligé de la cacher la majorité du temps
(je crois que les profs aimeraient pas trop que je parle à voix haute pendant le cours avec les gens du sidh qui viennent squatter mes cours par exemple, ni que je leur dise «désolé du retard, je me suis fait attaquer par un dragon serpentiforme et j’ai comme tous les jours dû faire un détour pour éviter le coin où il y a des géants sur la place et le coin où il y a un clan du petit peuple qui a décrété que j’étais leur ennemi pour des raisons assez obscures, mais ne vous inquiétez pas mon pote extra-terrestre n’est pas venu squatter votre cours, il est en licence de lettres, il n’y a que deux aos sidh dans votre cours», ni que je me mette à tourner un pendule en prononçant des incantations en pleine classe pour me guérir d’une des nombreuses malédictions que je me choppe fréquemment parce que je prends pas assez soin de mes amulettes).
Blogs et militantisme
J’ai également trois blogs et c’est assez rare que je reste une journée entière sans consulter au moins les statistiques de l’un des trois. Bon je ne donnerai pas l’adresse de mes autres blogs ici mais c’est juste pour montrer à quel point j’ai beaucoup de taff, entre les articles que je poste, mes statistiques à consulter pour améliorer mon contenu, les réponses aux commentaires, les réponses aux résultats de recherche, la mise à jour de la page où je classe mes articles par longueur, etc.
Malgré que j’ai «arrêté de militer», je continue de faire beaucoup de taff militant. J’ai pris contact avec un comité antivalidiste pour essayer de le mettre en contact avec les antivalidistes désorganisés d’ici, je suis membre de l’asso handicap de ma fac et je traîne beaucoup dans leur local, j’essaye de maintenir mon réseau en essayant de fréquenter le plus de personnes atypiques possibles, j’ai suggéré au prof de sabre laser d’essayer de voir si c’est adaptable en version fauteuil roulant (ce serait marrant 🙂 en tout cas si l’handi-sabre laser se crée vous saurez que c’est grâce à moi 🙂 ), j’essaye de motiver tous les gens que je fréquente à s’intéresser à l’antivalidisme et à monter des actions ensemble, etc.
Famille et potes
Même si je m’occupe assez peu et très mal de mes enfants (c’est mon mari qui s’en charge) je passe tout de même beaucoup de temps à me faire du souci pour eux même s’ils sont trop jeunes pour s’en rendre compte.
Beaucoup de mon énergie part aussi dans de longs débats pouvant tourner en dispute pour des broutilles version dyssynchrone/autiste (genre «mais non ce mot ça veut pas dire ça» ou genre grand débat philosophico-politico-linguistico-physico-biologico-géographique où le point godwin se trouve généralement être soit le débat sur le transhumanisme, soit le «tu n’es pas un vrai athée de toute façon» ou encore le «de toute façon la réalité c’est de droite»).
Hypervigilance
Je passe également une bonne partie de mes journées à me mettre dans les positions les plus alambiquées possibles pour empêcher les gens de me toucher/frôler (je n’aime pas les contacts physiques) et une énergie considérable à surveiller ma bouffe pour éviter les allergènes et les autres trucs que je mange pas.
Je dois également être hypervigilant pour éviter de me faire approcher de trop près par un de mes objets de phobies (le plus galère étant ma phobie de l’imagerie chrétienne parce qu’il y en a partout ici).
Je passe également mes journées à expliquer que non c’est Monsieur et pas Mademoiselle, à justifier de pourquoi j’ai l’air d’une fille alors que je suis un mec, de pourquoi j’ai l’air de faire moins que mon âge, etc. C’est pas le plus chiant mais ça participe à me bouffer de l’énergie.
Notion du temps
Je suis également obligé de me soucier beaucoup de me fabriquer et maintenir un simulacre de notion du temps (ça ne m’est absolument pas naturel, mon rapport au temps naturel est de ne pas m’en soucier et de remarquer parfois l’alternance jour/nuit et quand je sors beaucoup de remarquer la forme de la lune et la saison météorologique et non solaire où on est à l’aspect des arbres).
Si j’avais en face de chez moi un combini et une pharmacie ouverte 24/24 dans les périodes où je socialise peu je pourrais dire aux gens là tout de suite qu’on est «le jour, il fait froid dehors mais il ne pleut pas, il y a des feuilles mortes et des fleurs, les fourmis hibernent et les araignées sont nombreuses». Voilà ma définition de quand on est.
Au lieu de ça je peut dire qu’on est «jeudi matin puisque j’ai séché les cours et que je viens de me lever, qu’il est entre 10h et 16h puisque j’ai pris qu’un complément alimentaire ce matin à 10h mais en fait je crois qu’il est plus que midi puisque j’ai fait téléphoner à l’endocrino un pote vers 12h, qu’on est début octobre, probablement le 3 ou le 4 parce que je me souviens d’avoir écrit 2 octobre récemment sur mes notes de cours, qu’à cette heure-ci les commerces, la salle de muscu, la fac, la bibliothèque et la pharmacie sont ouvertes et que l’heure est raisonnable pour téléphoner à des administrations et envoyer des sms».
Je viens de vérifier, j’ai écrit ça le jeudi 4 octobre, à 14h18. Rigoureusement exact, donc.
Image et narcissisme
Je dois aussi régulièrement veiller à mon image (question de survie narcissique), ce qui signifie que je dois en permanence surveiller ce que je dis, à qui je le dis, mon apparence physique, le genre que je me donne (plutôt genre connard flippant, atypique en mode osef, monsieur je sais tout, geek total, autiste renfermé flippé de la vie, taré complètement barré que personne ne peut comprendre, pauvre victime de l’horrible société dans laquelle je dois vivre, etc… tout ça est vrai, juste j’exagère certains plus que d’autres selon ce que je veux que les gens pensent de moi), et surtout qui je fréquente et comment éviter de me faire téj.
J’ai un pote narc qui se donne tout le temps une image de mec sympa que tout le monde aime bien et il y arrive. Fait chier, faudra que je lui demande des conseils. En même temps il a pas l’air d’être schizo, autiste, avec un régime alimentaire spécial, agoraphobe et j’en passe. Ça aide pour s’intégrer.
Fatigue/stress notamment urbain
Je dois en permanence essayer de comprendre les conventions sociales.
Je passe mon temps à devoir prendre sur moi pour tenir dans des environnements bruyants, très éclairés, fermés, avec plein de gens (humains et aos sidh).
Je suis en permanence affamé et fatigué et je dois tenir le coup malgré tout parce que j’ai trop de trucs à faire.
Je dois supporter le stress d’un environnement urbain, le bruit des voitures et des gens qui passent, les odeurs de gaz d’échappements, l’odeur forte du fer un peu rouillé des poteaux et des rails du tram, la vision bouchée par des immeubles, le goudron partout au sol, le béton, etc.
Pour me ressourcer moi qui suis fait pour vivre au milieu de la forêt, des champs de fleurs pour les abeilles, des champs de colza, de maïs, de trèfle, de blé, de la lande, des plages sauvages, des chemins à demi-enterrés, bref des plantes et des vagues quoi, je n’ai que le cimetière à côté, la vue de la mer au loin et les quelques arbres et étendues d’herbe et de trèfle près d’une zone de la fac où je vais peu et un peu de mousse et de lichen sous mes fenêtres.
En plus toutes mes plantes meurent en ce moment parce que soit mon état émotionnel soit l’état de mon appart ne convient pas à faire s’épanouir des êtres vivants. J’aurais besoin pour me sentir bien d’être dans une petite maison paumée à la campagne à moitié en forêt près d’un point d’eau préservé (j’ai dormi des années au dessus d’une source/rivière souterraine dans ma très petite enfance, j’ai vraiment besoin d’avoir un point d’eau aux propriétés magiques près de moi) avec un jardin potager et un verger qui puissent me nourrir et quelques animaux en semi-liberté notamment pour avoir du lait, du miel, du poisson et des œufs, voire peut-être de la viande, et un poney pour les déplacements longs et pour ménager mes forces.
Ne pas être dans cet environnement me fatigue beaucoup et me prend beaucoup d’énergie.
Empathie
Je dois également régulièrement faire semblant de pouvoir avoir de l’empathie pour les gens pour qu’ils s’énervent pas, à base de «je comprends», «ouais, c’est sûr c’est pas facile», «ah ouais il est sérieux de t’avoir fait ça», «bah non, c’est sûr, c’est pas à toi de faire ça» et autres phrases toutes faites (que j’ai apprises par cœur et que je récite bêtement) que je me force à employer plutôt que de dire des trucs du genre
«et alors ? je comprends pas c’est quoi le problème» (à quelqu’un qui me vient de me dire ce qui allait mal dans sa vie) ou encore «ça va ? qu’est-ce que tu ressens ? qu’est-ce qu’il y a ?» (à une personne qui vient de me le dire mais où j’ai pas fait le rapprochement) ou «nan mais en fait je m’en fous de ta vie» (à une personne qui essaye de m’expliquer que je viens de la blesser) ou encore «je suis censé réagir comment ? j’ai pas compris ce que tu attends de moi» (à une personne qui me dit qu’elle va mal sans me dire pourquoi d’une façon que je comprenne).
Paperasse
Alors en paperasse que j’ai faite récemment ou qui est dans ma liste à faire j’ai :
- obtention de justificatifs psys pour les hormones, les aménagements et le changement de prénom
- demande de changement de prénom et de sexe administratif à la fac
- inscription administrative à la fac
- inscription pédagogique à la fac
- obtention de certificat médical pour ma cyphose pour obtenir des aménagements et d’une prescription pour mes compléments alimentaires
- demande d’aménagements
- demande de dispense d’assiduité (papier à part, c’est pour la scolarité et pas pour la médecine préventive)
- inscription sur l’ENT (environnement numérique de travail, c’est l’endroit où on a accès à la boîte mail de la fac et aux cours qui sont mis en ligne) ou plutôt sur le moodle à quatre cours différents avec une procédure différente pour chacun des quatre cours
- galère pour trouver la salle de mon UE libre
- prise de rdv avec les différents médecins que je dois voir
- demande de changement de prénom auprès de la mairie
- demande de changement de sexe auprès de la mairie
- demande de renouvellement de ma carte d’identité et de mon passeport
- demande de renouvellement de tous mes documents administratifs (pour corriger le nom et le sexe)
- demande de changement de prénom et de sexe auprès de ma banque et de renouvellement du chéquier et de la carte bancaire
- demande de changement de prénom et de sexe auprès de l’organisme de la carte vitale et demande de changement du numéro au début de la carte vitale et de renouvellement de ma carte vitale
- idem pour la mutuelle
- demande d’ALD pour remboursement des soins médicaux liés à la transexualité (puisqu’il s’agit ici de la procédure médicale de changement de sexe c’est-à-dire les hormones)
- demande de diag sur toutes mes atypies susceptibles de me donner l’AAH
- procédure à la MDPAH pour obtenir le statut handicapé (je sais plus comment on appelle ça) et les aides notamment l’AAH mais j’aimerais voir si je peux pas obtenir d’autres trucs en plus genre des aménagements de mon domicile, une aide à domicile pour prendre soin de moi ou une structure adaptée (je suppose très fortement qu’il n’existe rien qui me convienne, mais bon) pour moi, ou une ALD plus large qui rembourse tout ou un fauteuil roulant ou une carte pour être prioritaire à l’assise dans les transports, enfin n’importe quoi me permettant d’avoir des aménagements augmentant ma capacité de survie
- etc (j’ai sûrement oublié des trucs)
Divers
Je passe également mon temps à planquer les objets fragiles et/ou auxquels je tiens pour que mes traits dyspraxiques et ceux d’une parti de mon entourage ne les détruisent pas, à éviter que les objets soient en équilibre, etc.
Je dois faire régulièrement de gros efforts de socialisation.
Malgré tout ça je vais en cours (je sèche seulement 1 à 2 jours par semaine (rarement 3) sur mes 4 jours de cours par semaine sachant que je commence à 8h ou 10h30 tous les jours et finis à 20h tous les soirs), donc ça me fait une double journée.
Et je suis sûr que j’ai oublié pleins de trucs… Ça fait beaucoup déjà… Je commence à me demander si une grande partie de mes dépressions c’est pas juste que je suis en burn-out de la vie quotidienne en fait.